Programme Curare
Un regard curatorial sur les secteurs Inception, Process et Digital
En partenariat avec le C-E-A, l’association française des commissaires d’exposition
Pour cette édition, le salon renouvelle son partenariat avec le C-E-A, l’association française des commissaires d’exposition. Deux commissaires ont été sélectionnées suite à un appel à candidatures, à porter un regard singulier sur les secteurs Inception, Process et Digital, en explorant la manière dont le dessin contemporain se déploie aujourd’hui au-delà de ses supports traditionnels.
Ce partenariat reflète un engagement commun pour soutenir la recherche curatoriale et offrir de nouvelles perspectives sur la scène artistique.
Domitille Bertrand, commissaire indépendante, porte un regard sur le secteur Inception
Domitille Bertrand est commissaire d’exposition et formatrice. Diplômée de l’ICART en 2010 à Paris, elle défend des artistes à l’aube de leur carrière et d’autres plus avertis. S’intéressant aux arts plastiques et à leur hybridation, elle a eu l’occasion d’organiser plusieurs résidences artistiques, quatre concours internationaux et d’être commissaire d’une quarantaine d’expositions indépendantes à Paris, San Francisco et Dakar. Elle a également collaboré avec des projets autonomes à Genève et Brazzaville. En 2016, elle fonde Develop’on, dont dépendent la D Galerie et D Formations. Depuis 2020, elle est membre active du C-E-A, réalise des entretiens et participe régulièrement à l’écriture de textes critiques, en plus de ses activités de formatrice et de commissaire d’exposition.
Quel est le plus grand défi pour vous en tant que commissaire d’expositions d’art contemporain ?
Je dirais que c’est d’atteindre le paradoxe d'une trace suffisamment souterraine, d'une part, pour laisser jaillir ce qui est perceptible à l’atelier et dans l’esprit des artistes dont nous tâchons de valoriser les pièces. C’est aussi défendre, d'autre part, notre métier et la nécessité d’assortir, autant que possible, les espaces d'exposition à cette association si fertile et utile au visiteur qui naviguera avec les œuvres. Un autre défi est de travailler avec ce qui est, mais aussi avec tout le corpus à venir, senti et non éclos, car le commissaire, comme d'autres intermédiaires, engage une discussion pour construire avant que l’œuvre n’ait abouti. Travailler avec comme matière, une forme de mouvement, c’est pour moi ce qui rend ce métier passionnant. Le sentiment d'être aux premières loges, un des premiers traducteurs.
Le dessin a traditionnellement été défini comme étant sur du papier. Quelles sont les innovations du dessin contemporain qui vous enthousiasment plus ?
Le dessin est pour moi un amour du tracé. Il me semble que, si le papier conserve une place fondamentale dans son lien organique aux artistes qui le touchent, l’espace, le volume et le vide en deviennent des lieux d’inventions tout aussi intéressants. La fibre, l’installation, les configurations immersives, permettent aussi un écho palpitant à la feuille ; prolongements ou débuts. Le dessin contemporain n’est pas l’esquisse d’une autre œuvre mais bien trace d’un espace renversant littéralement les perspectives. Pour moi, une œuvre comme celle de Hyacinthe Ouattara avec qui j’ai eu la chance de collaborer sur Organic Mood (2020, installation textile immersive de 75m2), est l’enthousiasme pur d’un dessin qui nous invite à entrer très concrètement dans ses lignes de fibres colorées.
Lucie Ménard, commissaire indépendante, porte un regard sur les secteurs Process et Digital
Lucie Ménard est curatrice indépendante, diplômée en 2019 du post-diplôme Curatorial studies à KASK - School of Arts (Gand, Belgique). Elle est également depuis 2012 responsable du service éducatif et culturel au Fresnoy – Studio national des arts contemporains à Tourcoing. Avec Lieselotte Egtberts, Elisa Maupas et Anna Stoppa, Lucie Ménard est l’une des co-fondatrices de moss, collectif curatorial transfrontalier au croisement entre la Belgique, la France, l’Italie et les Pays-Bas. Le collectif a été lauréat en 2022 de la bourse de recherche de l’Institut pour la photographie de Lille pour le projet Deal with it - Esthétiques de la réparation. Nourrie par la dynamique entre ces différentes activités, Lucie Ménard s’intéresse particulièrement aux gestes plastiques comme actes de soin, aux allers-retours entre matérialité et images numériques dans les pratiques contemporaines, aux temporalités croisées qui sont en jeu dans les processus de création, et à la tension entre attention(s) et distraction(s) dans le regard porté sur les œuvres.
Quel est le plus grand défi pour vous en tant que commissaire d’expositions d’art contemporain ?
Dans un contexte de sur-sollicitation visuelle, je m’interroge particulièrement sur la façon dont réussir à produire un cadre - théorique, spatial, temporel - qui offre à chaque œuvre l’attention nécessaire, et invite à prendre le temps. Un projet curatorial peut d’ailleurs se déployer autrement qu’à travers le format classique de l’exposition (publications, cycles thématiques, sites web, workshops…). Le rôle de curatrice me semble crucial pour permettre la mise en écho de multiples perspectives, qui au delà de l’expérience sensible de l’œuvre viennent augmenter notre regard sur le monde et complexifier nos représentations, pour envisager d’autres formes de sensibilités et de récits. Dans une société centrée sur l’image, le regard est politique ; ce que nous choisissons de voir ou non, de regarder, de montrer. Il peut être difficile de s’autoriser à s’émerveiller dans le contexte actuel, mais je suis très attachée à cette notion d’émerveillement, l’acte de création comme moteur d’espoir, d’action et de transformation.
Le dessin a traditionnellement été défini comme étant sur du papier. Quelles sont les innovations du dessin contemporain qui vous enthousiasment plus ?
Je trouve passionnante la façon dont les nouvelles technologies peuvent venir augmenter et compléter les possibilités du dessin, permettant de donner forme à des idées qui auraient jusqu’ici été impossibles à mettre en œuvre. Je pense par exemple à l’œuvre A main levée de l’artiste Pauline de Chalendar, dont les médiums initiaux étaient le dessin et l’animation. Son rêve de « dessiner dans l’air » s’est concrétisé au Fresnoy - Studio national des arts contemporains par le développement d’un dispositif de dessin numérique en réalité virtuelle en collaboration avec un laboratoire scientifique, conçu sur mesure pour sa pratique grâce à un capteur de mouvements attaché à sa main. Un casque VR permettait ensuite de suivre ses gestes, et de découvrir la ligne du dessin se tracer peu à peu autour de nous. Je trouve cela particulièrement pertinent quand ce déploiement se justifie par une forte intention poétique, et n’est pas intégralement numérique mais conserve une part de plasticité, dans un aller et retour entre matérialité et immatérialité du dessin.
Si vous deviez choisir de commencer une collection de dessin du XXe siècle, quelle pièce par quel artiste choisiriez-vous ?
Difficile de n’en choisir qu’un, mais probablement un dessin issu de l’ouvrage "La botanique parallèle" de Léo Lionni, ouvrage faussement scientifique dans lequel il décrit et dessine des plantes imaginaires, comme ces plantes qui ne sont visibles que lorsqu’elles sont prises en photo. Il est aussi l'auteur des merveilleux dessins et collages qui illustrent ses ouvrages pour enfants qui m’ont beaucoup marquée en grandissant. La collection pourrait ensuite se poursuivre par un dessin de l’artiste Anna Zemánková, présente dans de nombreuses collections d’art brut, qui imagine des végétaux colorés en mêlant pastels, découpes textiles, broderies et perforations dans le papier. Et si l’on remonte plus loin, un frottage de Max Ernst de sa série "Histoire naturelle". Ces artistes ont en commun une très grande liberté dans les matériaux et les techniques de dessin utilisés, et partent d’une observation attentive du monde pour donner vie à leurs visions intérieures. Ce serait déjà un beau début de collection !